mercredi 21 août 2013

#Gabon: Entrevue de Paulette Oyane Ondo parue de La Loupe du 20 Août 2013: Démocratie, corruption, misère...

Entrevue de Me Paulette Oyane Ondo
  ITW DE P2O Parue dans le Journal La LOUPE de ce mardi 20 AOUT 2013

La LOUPE : - Au regard de la situation de peur, de misère...qui règne dans le pays, et compte tenu de notre potentiel naturel et humain, quelles sont les causes de ce paradoxe?

Réponse de P2O : la formulation de vos questions me laisse souvent assez perplexe, et m’oblige à une gymnastique intellectuelle pour trouver une réponse articulée. En l’espèce et de prime abord, il n’y a pas de lien de causalité entre " la situation de peur… qui règne dans le pays, et le potentiel naturel et humain du Gabon". Une population peut en effet vivre dans la peur dans un pays pour plusieurs raisons qui parfois ne sont pas du fait direct de l’Etat ou du régime politique qui gère le pays. Il en est ainsi dans le cas de la grande criminalité entretenue par des gangs ou la Mafia qui terrorisent la population et même dans certains cas qui terrorisent l’Etat lui-même et ses fondements. De telle sorte que certains pays ou villes sont classés par des indicateurs habilités comme des villes ou des pays les plus insécurisés au monde, alors que ces pays sont riches et démocratiques et que des individus y sont des citoyens.

Toutefois il est clair que quand la peur règne dans un pays et que la population ne se sent pas en sécurité du fait des gangs ou de la mafia alors même que l’on est dans un pays riche et démocratique, c’est que l’Etat ne fait pas ou fait mal son travail de protéger ses citoyens et ne leur assure pas la sécurité nécessaire. Car c’est son rôle que de lutter contre des gangs et la mafia afin d’y mettre un terme en éradiquant ce genre de phénomène.

Mais quand on réfléchit un peu plus en profondeur sur votre question, il apparait alors que la peur dont vous parlez, même si on ne voit pas tout de suite son lien de causalité avec le « potentiel humain et naturel du Gabon », est du fait de l’Etat et du régime qui gère le pays depuis plus de 45 ans. C’est la peur causée par les crimes rituels qui restent impunis. C’est la peur causée par la difficulté voire l’impossibilité de l’accès aux services sociaux de base par ceux qui n’ont pas la chance d’être les privilégiés du régime. C’est la peur du lendemain parce que les gabonais d’en bas, les mal nés sont convaincus que leur lendemain ne sera jamais meilleur parce que leur bulletin de vote ne peut pas changer leur vie dans la mesure où il n’est jamais pris en compte. C’est la peur liée à la perte d’espoir parce que si on n’appartient pas aux cercles du pouvoir, on n’a aucun espoir d’une vie meilleure puisque vos capacités intrinsèques ne comptent pas et ne peuvent pas changer votre vie quel que soit les efforts, le mérite, la compétence dont vous pouvez faire preuve. Oui ! Cette peur-là est bel et bien liée « au potentiel naturel et humain du pays » car elle traduit le partage inéquitable des richesses du pays et la gestion discriminatoire de la ressource humaine qui est pourtant l’une des moins denses de la sous-région. Et donc l’accaparement par une infime minorité de toutes les richesses du pays et la confiscation par la même minorité du pouvoir politique.

Maintenant en ce qui concerne « la situation de misère...qui règne dans le pays, et compte tenu de notre potentiel naturel et humain » on voit immédiatement un lien de causalité entre la misère de la population gabonaise, les richesses naturelles dont regorge le pays et la faiblesse de la population en termes de densité. C’est une situation qui est sans conteste possible paradoxale. On ne comprend pas comment un pays qui a un PIB de plus de 8.000.000CFA par an et par habitant, ce qui veut dire que chaque gabonais devait avoir plus de 600.000FCFA par mois juste… parce qu’il est né gabonais. On ne comprend pas comment, avec un tel PIB, 500 femmes meurent en couche par an ; celles qui ne meurent pas en couche accouchent à même le sol à cause de l’insuffisance ou du manque d’infrastructures sanitaires. Et il ne s’agit là que de cas qu’on peut recenser, l’arrière-pays où l’on ne voit un véhicule passer qu’une fois tous les trois mois n’étant pas pris en compte.

Il y a 25% de pauvreté absolue, c’est-à-dire qu’un gabonais sur 4 n’a strictement rien, absolument rien, ceux qui vivent avec moins de 2 dollars américains par jour c’est-à-dire moins de 1000 FCFA : ils ne peuvent pas s’alimenter de manière régulière ni équilibrée, ils ne peuvent pas se loger dignement, ils ne peuvent pas se vêtir décemment, ils sont naturellement au chômage, d’ailleurs 24% de la population active est au chômage. Sans parler du chômage des jeunes.

Ce paradoxe d’un Gabon très très riche avec une population qui vit dans la misère n’est pas une fatalité, il est lié à la conception du pouvoir politique. Il faut savoir qu’un pouvoir qui n’est pas l’émanation du peuple ne prend pas en compte les intérêts des citoyens puisque ceux –ci n’influent pas sur le fonctionnement de l’Etat. C’est l’éternelle question de la légitimité du pouvoir politique au Gabon. Il apparait qu’un pouvoir politique est légitime lorsqu’il prend en compte les intérêts des citoyens et que ceux-ci se reconnaissent en lui. Or, la prise en compte des intérêts des citoyens dépend du fonctionnement de l’Etat. Et un Etat dictatorial comme le Gabon n’a que faire des intérêts des populations. Le régime politique gabonais considère qu’il n’a aucun compte à rendre aux gabonais puisqu’il ne détient pas son pouvoir par la volonté du peuple mais par la force et la terreur.

La LOUPE : Concrètement, comment y remédier?

Réponse de P2O : Dans un pays comme le Gabon, la réponse à cette question consiste à affronter toute une série de défis dont le premier qui est la mesure de toute chose consiste à faire en sorte que le pouvoir politique devienne légitime et obtienne l’adhésion du peuple.

Pour un régime aussi vieux que celui du Gabon qui a institutionnalisé la mal gouvernance, et érigé les contre-valeurs en valeurs c’est une tâche herculéenne.

Toutefois, il ne se s’agit pas d’inventer la roue. L’épreuve du temps et l’Histoire nous démontrent que la solution au cas comme celui du Gabon est l’instauration de la démocratie.

Malheureusement au Gabon la démocratie fait peur parce qu’elle est considérée comme une atteinte aux privilèges de la minorité qui a confisqué le pouvoir politique et aussi les richesses. Cette minorité a donc peur de perdre le pouvoir, de perdre ses privilèges, elle a même peur de son avenir car la démocratie rime avec une justice indépendante et impartiale et le fait de rendre des comptes.

Mais si on veut vraiment changer les choses, on peut même commencer par légitimer le pouvoir actuel en mettant en place les équilibres nécessaires qui vont aboutir petit à petit à la démocratie : les équilibres sociaux, les équilibres politiques et les équilibres institutionnels, le tout avec un corps social conscient de sa citoyenneté.

Comme vous pouvez le constater c’est tout un programme qui est un vrai défi qui ne peut être relevé que par des hommes et femmes d’Etat ayant la volonté d’écrire l’Histoire et de créer une véritable Nation. Ce n’est pas à la portée du petit politicien sans envergure qui ne pense qu’à ses intérêts matériels.

FIN DE L’ITW